Plaire à tout le monde
- Damien Follet
- 21 mars 2022
- 5 min de lecture

"On ne peut pas plaire à tout le monde".
Dans l'expression, le mot "plaire" peut avoir plusieurs sens: la séduction, mais aussi plus généralement la popularité et la notion d'allié (collaboration)/ennemi (compétition).
Est-ce vraiment impossible de plaire à tout le monde?
Si c'est possible, est-ce que c'est souhaitable de plaire à tout le monde?
Qu'est-ce qui fait qu'on plait ou non à quelqu'un?
Des études ont montré qu'en moyenne on apprécie plus les gens qui nous ressemblent, c'est-à-dire qui ont les mêmes valeurs, intérêts, culture, traditions, ...
Cela semble assez logique, puisqu'en partageant des intérêts ou des valeurs communes, on peut se faire rapidement raisonnablement confiance et s'entre-aider afin d'atteindre plus facilement les objectifs de chacun·e.
On le retrouve aussi dans les statistiques des couples: il semble assez évident qu'il est plus facile de construire une vie heureuse lorsqu'on a au moins une bonne partie des valeurs et des rêves en commun avec sa moitié.
Puisque les gens sont tous assez différents, il semble assez évident qu'on ne puisse pas ressembler à tout le monde en même temps.
En effet, tout le monde n'a pas toujours non plus les mêmes intérêts : s'il ne reste qu'une place disponible pour un concert et que deux personnes veulent y assister, alors chacun·e a intérêt à avoir la place restante pour lui·elle, et puisqu'on ne peut pas partager une place en deux, une des deux personnes sera fatalement déçue.
De même, tout le monde n'a pas toujours les mêmes valeurs : certaines personnes préfèreront dire la vérité quitte à blesser, alors que d'autres préfèreront ménager le bien-être de l'autre quitte à omettre certaines informations, et aucune des deux approches n'est adaptée dans toutes les situations.
A priori, on ne peut donc pas plaire à tout le monde.
Plaire à tout le monde ?
Et si quelqu'un faisait semblant de partager beaucoup de points communs avec chaque personne qu'elle rencontre?
Logiquement, ça supposerait de connaitre à l'avance ces points communs.
La difficulté serait donc de savoir à l'avance quel·le·s intérêts et valeurs sont importantes pour l'autre, avant même de réellement connaitre la personne.
C'est là qu'intervient un mécanisme psychologique appelé l'effet Barnum-Forer : on a tendance à penser qu'une description personnalisée nous correspond exactement, même si elle est très générique et s'applique au fond à tout le monde.
On voit un exemple de cet effet dans certains spectacles de mentalistes qui "devine" la personnalité des volontaires: "Vous avez envie que les gens vous acceptent et vous aiment", "Mêmes si vous avez quelques défauts, vous essayez de les dépasser et de venir quelqu'un de meilleur".
On en voit un autre exemple dans les campagnes électorales: "Nous nous préoccupons de l'avenir de nos enfants", "Nous voulons protéger les plus vulnérables", "Nous voulons améliorer la vie des français·es", où l'objectif est de convaincre chaque électeur·trice que le·a candidat·e va défendre ses intérêts et ses valeurs.
Il est donc possible d'afficher des intérêts et valeurs génériques, que tout le monde partage à un certain degré, afin de faire croire à l'autre qu'on a les mêmes valeurs et intérêts.
Par exemple, faire croire qu'on aime s'amuser, qu'on est contre la guerre, qu'on a envie d'être heureux·se et de se sentir aimé·e.
En résumé, afficher un masque générique que l'on adaptera à la personne en face au fur et à mesure qu'on découvre ses valeurs et intérêts.
Si cela vous semble fou, vous serez peut-être intéressé·e d'apprendre que les études scientifiques le confirment.
Des études sur les adolescents ont montré que les jeunes les plus populaires au collège et au lycée étaient aussi les meilleurs menteurs·ses. D'autres études sur les adultes ont montré que les gens qui avaient le plus de pouvoir et de responsabilité (dont les élu·es, chef·fes d'entreprise, ...) étaient eux·elles aussi bien plus doué·e·s pour mentir que la moyenne.
Alors on sait comment faire, mais a t-on vraiment tou·te·s intérêt à utiliser un masque, qui est une forme de mensonge?
A t-on intérêt à utiliser un masque et/ou à mentir ?
Des études scientifiques se sont posées la question suivante : qu'est-ce que ça coûte de mentir?
Les coûts les plus évidents et les plus connus sont la colère et le rejet si le mensonge est découvert.
Cependant des études ont indentifié d'autres coûts un peu plus inattendus : même si le mensonge n'est jamais découvert, la personne qui ment paie un prix très lourd. Des études ont montré que les personnes qui mentent se sentent moins heureuses que la moyenne, même si le mensonge n'est pas découvert et qu'elles ont gagné quelque chose d'important en mentant.
Est-ce que le fait de porter un masque a aussi ce genre de prix? D'après des études scientifiques, il semblerait que le prix de porter un masque soit encore plus lourd.
Le livre de Norah Vincent intitulé "Dans la peau d'un homme" illustre bien ce phénomène : afin d'écrire un livre sur les avantages et inconvénients de vivre dans la peau d'un homme ou d'une femme (pression sociale, discrimination, ...), pendant plus d'un an une reporter lesbienne s'est déguisé en homme, a trouvé un travail et s'est liée d'amitié avec un groupe d'amis hommes, allant jusqu'à draguer dans la peau d'un homme. Alors que son secret n'a jamais été découvert et qu'il ne l'a jamais empêché de vivre comme elle le désirait (elle a même développé une relation amoureuse avec une femme rencontrée dans un bar avec ses amis hommes), vers la fin de l'expérience, la reporter a commencé à ressentir de la souffrance, du mal-être, de la paranoïa, et a finit par se faire admettre dans une clinique afin de traiter une dépression grave.
De manière générale, le fait de ne pas montrer qui on est réellement provoque une tension à l'intérieur de notre esprit (dissonance cognitive) qui entraine rapidement souffrances, dépression et suicide.
De plus, si on ne montre pas qui on est, on ne montre pas non plus quels sont nos besoins réels : on empêche donc les gens qui nous entourent de nous apporter ce dont on a besoin.
Résumé
En résumé, même si l'utilisation d'un masque et des mensonges a l'air tentant pour plaire à tout le monde, il est préférable de rester authentique et d'accepter de ne pas plaire à tout le monde, pour rester heureux·se.
Références
Tendance à préférer des personnes avec qui on a des points communs
- Freeman & Huang 2014
- Watson et al., 2004
- Matthew Montoya & al 2008
Effet Barnum-Forer
- Forer 1948
Pourquoi mentir?
- Feldman&al 1999
- Carney & al 2013, 2017
- Arcimowicz&al 2015
Le prix des mensonges
- McCornack & Levine 1990 : conséquences sociales
- Argo & Shiv 2012 : dissonance (mensonges altruistes)
- Brinke & Porter 2012 : conséquences sociales
- Preuter 2021 : baisse de l'estime de soi et des émotions positives
Masque
- Larson & chastain 1990
- Finkenauer & al 2002
- Jongman-Sereno & Leary 2019
Prix des masques
- Festinger 1957: dissonance, dépression
- Smith & Wild & Ehlers 2020 : déconnexion






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